INTERFERENCES
de Thomas FOREST
*soupir*
Ok, je vais tout vous raconter.
Mais je vous préviens : vous allez jamais me croire, et pourtant tout est vrai.
La journée démarrait comme une journée classique.
Réveil à 7h15 comme tous les matins.
Et comme tous les matins, j’ai décalé à 7h25 parce que j’avais pas assez dormi.
Je crois bien que je m’étais endormi vers 1 ou 2h du matin.
Mais au final la nuit avait été agréable, j’avais été bercé par le son de la pluie et il y avait un peu de tonnerre au loin.
De toute façon je ne travaillais que le matin, aujourd’hui. J’avais pris mon après-midi pour partir rejoindre ma famille pour le week-end à Nîmes.
Douche, café, clope, toilettes, au-revoir à ma copine et j’ai pris la voiture jusqu’au travail.
Il pleuvait encore un peu, donc ça bouchonnais, une logique typiquement toulousaine, en tout cas d’après les Toulousains.
Quand je suis arrivé au travail un peu avant 9h, ma collègue était déjà là, vraisemblablement depuis longtemps déjà. (Franchement, je comprends pas l’intérêt pour elle d’arriver si tôt, bref...)
Je commençais à travailler et nous étions rejoints bientôt par mon chef qui est arrivé avec 40 minutes de retard.
Ses premiers mots n’ont pas été “Bonjour”. Il a pesté pendant bien 5 minutes contre les Toulousains qui ne savent pas conduire dès que des gouttes tombent du ciel.
De toute façon pluie ou pas, il est toujours en retard et a toujours une raison. Mais c’est le chef, donc on le laisse faire.
Après ce monologue pendant lequel, ma collègue et moi, on répondait machinalement sans vraiment l’écouter, il s’est installé à son poste, en face de moi, donc.
Une journée normale, je vous disais.
Il était environ 10h30 quand mon chef dit :
“Euh, Thomas, c’est quoi ces conneries ?”
Son intonation me rassurait moyennement. J’avais vraiment du faire une connerie.
Inquiet, j’ai relevé la tête au-dessus des écrans de nos postes respectifs qui nous séparent.
Bon, il souriait. C’était bon signe, si j’avais fait une erreur elle devait pas être gravissime.
Avant qu’il n’ai pu me dire de quoi il parlait, ma collègue derrière moi a lancé “Ah, tu l’as reçu aussi ?”
Je devais avoir l’air perdu, parce qu’ils ont arrêté de sourire et je sentais que ça les saoulait un peu.
Je suis donc levé de ma chaise, contournant mon bureau puis celui de mon chef pour aller consulter son écran.
D’une main tendues, il m’a montré l’écran en disant : “bah, ce mail !”.
Dans son navigateur connecté à son compte Gmail pro, il avait reçu un message envoyé de mon adresse personnelle disait :
“Salut,
Juste pour vous dire que je prends ma journée le temps de régler des soucis, je crois que je me suis fait cambrioler et voler ma voiture.
Je vous tiens au courant.
Thomas ”
J’ai cligné des yeux de surprise, j’ai eu un petit mouvement de recul et je me suis approché plus près l’écran, comme si, de plus près, je trouverai plus facilement la raison de ce message.
Je suis retourné à mon poste en lançant “transmets moi ça s’teuplé” à mon chef.
Mon cerveau était déjà en train de faire défiler toutes les raisons possibles d’un tel message.
La première idée que j’ai eu c’est celle d’un vieux mail qui aurait mis des années à s’envoyer.
Quand je suis arrivé à Toulouse, ma voiture avait été cambriolée, cela pouvait être la raison... mais non, non. Le message disait clairement qu’elle avait été volée.
Jamais elle ne m’avait été volée.
Cela n’avait aucun sens.
Le message transmis par mon chef était maintenant devant moi. J’ai relu le message.
Non, ça n’avait vraiment aucun sens.
En plus ce mail venait de mon adresse actuelle, que je n'avais pas à l’époque de mon arrivée sur Toulouse, donc aussi foireuse que soit cette piste, là j’avais une preuve que ce n’était pas ça.
Peut-être un spoofing de mon adresse, tout simplement ?
Je me suis dit qu’il fallait que je vérifie dans un premier temps si c’était dans les messages envoyés de ma boite mail.
Je me suis donc connecté à ma boite personnelle.
Dès que la page s’est affichée, j’ai vu dans ma boîte de réception un mail, lu, de la MAIF, mon assurance.
En objet, une longue suite de chiffre et de lettres, “Évènement “ avec la date d’aujourd’hui “à Colomiers (31)”
Le message disait :
“Merci de bien vouloir prendre connaissance du document ci-joint, concernant le dossier cité en objet”
C’est systématique avec la MAIF, ils envoient un mail contenant le message en PDF. C’est très con, mais c’est probablement plus simple pour leurs archives.
Le PDF était donc une lettre qui m’indiquait la marche à suivre “suite à ma déclaration en ligne concernant le vol de mon véhicule”, et me demandant d’aller porter plainte avant de les recontacter.
Je commençais à avoir chaud, à paniquer… On était en train de me voler mon identité, ou quoi ?
J’ai décidé dans un premier temps, dans le doute, de changer mes mot de passes sur mes comptes importants ou liés à ma carte bleue : Gmail, App Store, Amazon, Steam…
Je suis arrivé à en faire 6 ou 7 en une grosse demi-heure.
C’était pas grand chose, mais j’avais l’impression de reprendre le contrôle.
Je suis alors sorti du bureau pour appeler l'assurance, pour expliquer et régler la situation. Ils ont été étonnamment très compréhensifs, ont annulé le dossier et ils m’ont modifié mes codes d’accès chez eux, au passage.
Très efficaces : en une poignée de minutes, attente comprise, tout avait été fait.
Pendant la conversation, ma montre connectée a vibré plusieurs fois mais je décidais de l’ignorer.
De toute façon, elle était au poignet de la main gauche, qui tenait mon téléphone et je sais pas faire deux choses en même temps.
J’ai raccroché et je suis retourné m'asseoir à mon poste.
Une fois assis, j’ai jeté un oeil à ma montre.
Je tombais logiquement directement sur la dernière notification.
Un message Telegram de ma copine :
“Arrête tes conneries”
De quoi ?
J’ouvrais Telegram pour m'apercevoir que quelqu’un lui avait parlé, se faisant passer pour moi et lui racontant les mêmes salades qu’à mon assurance et mes collègues.
“Je suis enfermé à l’intérieur de la maison, pas de voiture, je retrouve pas mon portable ni mes clefs. J’ai prévenu l’assurance, je te tiens au courant.”
Sauf qu’elle m’avait croisé le matin et m’avait entendu partir en voiture.
Autant vous dire qu’elle a vite compris que c’était quelque chose de louche.
Sans réfléchir plus, je tapais un message expliquant ce que je comprenais de la situation. Quelque part ça l’a rassurée, elle m’a envoyé:
“ok, bon courage”
Cela me rappelait les hacks de boite mail où quelqu’un que tu connais te demande de l’argent parce qu’il est (soi-disant) à l’étranger ou dans une autre ville et qu’il s’est fait voler sa carte bleue.
Mais là c’était quand même TOUS mes comptes. Et ça imitait super bien mon style d’écriture.
Notamment les “^^” que je mets à la fin des phrases en signe de malice ou de second degré… quoi que c’est devenu un peu comme un tic d’écriture...
Bref, je cherchais comment révoquer l’accès à Telegram, quand soudain, un autre message envoyé depuis mon compte à ma copine :
“Je ne sais pas qui t’a envoyé le dernier message mais ce n’est pas moi, c’est surement le voleur de mon téléphone”
Ouais c’est ça, bien tenté !
Du coup, dans le doute, j’ai envoyé un MMS à ma copine, avec une photo de moi à mon bureau.
Il disait “voilà une preuve, déconnecte-toi de Telegram, je gère ça.”
Elle m’a répondu :
“ok, nan mais je te crois.”
J’ai démarré donc une conversation vers mon propre compte.
J’ai écris :
“Qu’est-ce que tu crois faire ?”
J’attendais… rien.
Puis après une éternité :
“Je sais pas qui t’es mais je vais te retrouver, et quand je te retrouve, je vais te démonter.
C’est toi qui a ma voiture fdp ?”
Je savais pas quoi répondre, là… Il semblait quand même assez violent… et puis comment ça, “sa” voiture ?
Je décidais de consulter le log des connexions de mon compte Google pour voir si il y avait des activités anormales.
J’ai vu des connexions depuis Colomiers. Mon ordinateur étant allumé, je me suis dis que c’était normal.
Mais dans le doute, et pour me simplifier le suivi, je décidais d’aller l’éteindre à distance. Sait-on jamais.
J’ouvrais donc le bureau à distance et j’ai vu Telegram ouvert, soit.
Mais derrière, mon navigateur Chrome était connecté à mon espace personnel de mon assurance.
A ce moment-là, je n’ai plus aucun doute : on m’a volé mon ordinateur.
Vite, j’ai caché dans un coin la notification de prise de contrôle à distance et j’ai sorti la souris de la fenêtre de bureau à distance. Si ça se trouve, la personne n’avait pas vu que j’avais pris la main.
Effectivement, rien ne bougeait sur l’écran. J’attendais une minute, toujours rien.
Je me suis donc décidé à lancer vite fait la webcam, j’espérais localiser mon ordinateur plus précisément ou surprendre le voleur…
J’ai donc démarré un enregistrement de mon écran et je me suis lancé.
Skype ferait l’affaire, vite : Préférences > Audio/Vidéo…
Et là stupeur : mon ordinateur était toujours dans le bureau.
Il faisait sombre mais je reconnaissais le bureau de ma copine, en face, et puis l’arbre à chat dans le coin et puis bien entendu la fenêtre avec les volets entrouverts qui apportaient le peu de lumière qui me permettait d’y voir.
Et si en fait, cette personne avait, elle aussi, pris le contrôle de mon ordinateur à distance ?
Cette piste semblait la plus probable…
Comme j’étais en parti soulagé, j’ai coupé l’enregistrement de l’écran et je restais à réfléchir devant mon poste.
Le stress commençait à retomber : j’avais enfin une explication plausible et le changement de mes mots de passes avait réglé le problème si c’était ça.
Je me suis d’un coup comme réveillé, je me suis rappelé que j’étais toujours au travail.
Quelle heure était-il ?
J’ai regardé ma montre : 11h et demi passé.
Il était temps de se remettre au travail… Quelle matinée...
Bon, dans le doute, j’ai décidé d’éteindre quand même l’ordinateur chez moi.
Je relevais alors la tête vers mon écran.
Ce que j’ai vu a provoqué un tel choc que j’ai senti tout le haut de mon dos se glacer d’un coup.
Skype venait de se fermer.
Un instant plus tôt, dans la fenêtre de prise de contrôle à distance, dans la fenêtre de réglage de Skype dans l’image de la webcam, le temps que je regarde ma montre, quelqu’un s’était assis dans la chaise de mon bureau (et c’était probablement lui qui avait fermé la fenêtre de Skype).
Je ne l’ai vu qu’une fraction de seconde.
Mais malgré le temps court j’étais sûr d’avoir reconnu ce visage éclairé simplement par la lueur de l’écran. J’en étais vraiment sûr et pourtant… c’était pas possible !
L’homme sur la webcam…
Ben c’était moi
Connexion interrompue par l’hôte
*soupir*
Ok, je vais tout vous raconter.
Mais je vous préviens : vous allez jamais me croire, et pourtant tout est vrai.
La journée a démarré déjà très mal : Je me suis réveillé en sursaut, à travers trous des volets, je pouvais constater qu’il faisait jour.
J’estimais mon heure de réveil à “un peu après 8h”.
Merde.
J’ai pas entendu mon réveil.
Je cherchais mon portable dans le lit… impossible de mettre la main dessus. Tant pis, j’ai donc allumé la télé. Le Chromecast indiquait 9h32.
J’étais à la bourre.
GRAVEMENT à la bourre.
C’est pas catastrophique en soi, ça doit m’arriver deux fois par an et mon chef est plutôt flexible avec les horaires, quoi que surtout avec lui-même...
Pourquoi ma copine ne m’avait pas réveillé ?
Normalement si l’un de nous deux dort trop longtemps il réveille l’autre, c’est TOUJOURS comme ça.
Je fouille frénétiquement mon lit à la recherche de mon iPhone pour prévenir mes collègues de mon réveil tout en faisant attention à ne pas le projeter accidentellement en secouant les draps.
Impossible de le trouver.
Bon, je me suis levé, j’ai allumé la chambre et je reprenais les recherches.
Au bout de longues minutes, je suis rendu à l’évidence: aucune trace de ce foutu téléphone. J’avais du monter sans. J’étais fatigué hier mais il me semblait pourtant avoir lu dessus...
J’allais mettre mes lunettes … mais je n’arrivait pas non plus à les trouver… elles sont où bordel ?
Agacé, j’ai abandonné les recherches, je suis parti pour prendre ma douche, “ça me réveillera“.
Yerk... La serviette avait mal séché ou quoi ?
L’humidité de la pluie sûrement.
Bon, c’est pas grave, je l’ai mise au sale je suis allé en chercher un nouvelle.
J’ai pris ma douche, je voulais m’habiller mais je ne retrouvais pas mon pantalon…
Tant pis, à ce niveau-là de la journée de merde, j’en ai pris un autre dans le placard et j’ai repris mes recherches.
Rien à faire : impossible de mettre la main sur mes lunettes ou mon téléphone…
Je commençais à regretter d’être venu au monde quand soudain, je me suis dis que j’avais peut-être tout simplement oublié mon téléphone en bas, dans le salon.
Je suis descendu et j’ai commencé à vérifier les endroits où je pose mon téléphone d’habitude: la table basse, le plan de travail de la cuisine, mon bureau… ah ! Et les toilettes évidemment !
Non plus. Il n’était décidément nulle part.
Peut-être qu’il était dans ma voiture.
Distrait comme je le suis il n’est pas impossible qu’il ait passé la nuit sur son support, dans ma voiture. J’espérais qu’il n’avait pas été volé dans la nuit.
Je partais pour sortir quand j’ai vu qu’il pleuvait encore un peu dehors. Le sol était donc mouillé et j’étais encore en chaussettes.
J’allais donc prendre mes chaussures… qui n’étaient pas à l’endroit habituel…
Plus vraiment étonné, vu la tournure de la journée, je n’ai même plus cherché à comprendre et j’ai pris la vieille paire qui sert d’habitude aux travaux.
Le téléphone était la priorité car il fallait que j’appelle le travail.
Chaussures pourries au pied, je me dirigeais vers la porte… fermée.
Ma copine était partie, elle avait fermé derrière elle. Normal.
Je cherchais du regard mes clefs sur le meuble de l’entrée… Ah non, elles devait être dans mon sac… sac qui était… il était où lui aussi ???????
Je serrais les poings. J’ai donc inspiré et expiré doooouuucement pour me calmer et éviter de mettre un coup de poing dans la porte d’entrée (et probablement me faire très, très mal).
Bon, là, le café allait être nécessaire… Mais, avant, je me suis dit que, de la fenêtre du bureau, je pouvais peut-être apercevoir le tableau de bord de ma voiture.
Si le téléphone était là, ça sera déjà un petit truc de retrouvé… et ça aurait déjà été ça.
Je suis donc allé donc dans le bureau, et me suis accroupi pour regarder par les volets roulants entrouverts. La flemme de les monter.
En regardant par la fenêtre, j’ai senti mon coeur tomber de 10cm dans ma cage thoracique.
PAS. DE . VOITURE.
J’ai ouvert la fenêtre et j’ai passé la tête dans l’espace ouvert des volets pour regarder si elle n’était pas à un autre endroit.
C’est un réflexe stupide en y repensant, mais bon…
Rien.
Les deux places de la maison étaient vides.
C’était vraiment pas normal.
Je me forçais à respirer calmement pour éviter la panique.
Bon, je me suis décidé à aller me faire ce café. J’en aurai besoin.
Apparemment, j’avais pas fini mon café hier matin… j’aime bien le café froid, mais après 24h, c’est un peu dégueu. J’ai donc jeté le café dans l’évier et pris une autre tasse.
J’en ai bu une gorgée mais le stress m’avait tellement retourné l’estomac que je l’ai senti descendre jusqu’à mon estomac et c’était assez douloureux.
Je ne savais pas par quoi commencer… J’ai décidé de commencer par prévenir mon assurance du vol de ma voiture.
Mais sans téléphone, c’était difficile…
J’ai tenté l’espace client en ligne et finalement c’était assez simple et ça m’a pris que quelques minutes.
J’ai ensuite envoyé un mail à mon chef et ma collègue pour les prévenir que je n’allait pas venir travailler de la journée… vu que la moitié de la matinée travaillée était passée et que rien ne partait pour se régler vite, autant prévoir large.
Jusqu’à ce moment-là, c’était une journée à peu près normale. Oui, un peu merdique sur les bords quand même, mais par rapport à ce qui allait suivre, elle était encore ancrée dans une certaine forme de réalité commune aux autres.
Mais les choses allaient déraper assez rapidement.
J’ai refait plusieurs fois le tour de la maison, fouillant chaque endroit à la recherche de mon pantalon, mon téléphone, mes chaussures, mon sac et les clefs… car sans elles, impossible pour moi de sortir de la maison.
Il était quand même peu probable que je sois capable de perdre tout ça à la fois !
J’ai envoyé un message via Telegram à ma copine puisque je n’avais toujours pas retrouvé mon téléphone.
“Je suis enfermé à l’intérieur de la maison, pas de voiture, je retrouve pas mon portable ni mes clefs. J’ai prévenu l’assurance, je te tiens au courant.”
“Tu passes par Telegram pour me contacter stp ^^”
(Avec 2 accents circonflexe à la fin, pour lui faire comprendre que bon, malgré tout je gardais le moral)
Quelques secondes plus tard, 3 messages d’elle coup sur coup, mais ils n’avaient pas de sens :
“De quoi ?”
“Tu racontes n’importe quoi je t’ai vu partir avec ta voiture ce matin”
“Arrête tes conneries”
Je restais comme assommé devant l’écran, ne sachant pas trop quoi répondre.
Elle ne me croyais pas.
Elle devait sûrement confondre avec un autre jour.
Je tentais de réfléchir à une façon diplomate de lui expliquer qu’elle avait tort, quand d’un coup, un message dans la conversation avec elle. Pas d’elle. Mais envoyé de mon compte.
“Ignore le message précédent, je crois que je me suis fait hacker tous mes comptes, mes collègues ont reçu des messages identiques, bref, je tente de régler ça, je te tiens au courant, bisous”
QUOI ?!?
J’envoyais vite un message pour prévenir ma copine que ce message ne venait pas de moi.
Vraisemblablement, mon portable n’avait pas juste disparu : il avait été volé !
Pas de nouvelle d’elle
Et là, un nouveau message envoyé depuis mon compte… à mon propre compte.
“Qu’est-ce que tu crois faire ?”
J’hallucinais là…
C’est qu’il tentait de m’intimider en plus !
Pour moi, la situation était claire : il m’avait volé ma voiture avec mon téléphone dedans. Et il essayait de… je sais pas mais il tentait un truc.
Sans plus réfléchir, j’ai envoyé un message un peu virulent pour le piquer au vif et au passage savoir si c’était lui qui avait ma voiture, histoire de vérifier.
Pas de nouvelle pendant un bon moment. Peut-être que j’y suis allé un peu fort…
J’avais toujours pas retrouvé mon sac… Il n’était pas impossible qu’il ait été dans la voiture aussi, avec dedans, mes papiers et ma carte bleue et mon chéquier… mais sans téléphone, comment appeler la banque pour faire opposition ?
Il fallait que je trouve un téléphone et que je le connecte à la box.
Je fouillais les cartons pour ressortir le téléphone sans fil qu’on n’avait pas déballé depuis le déménagement… Sa batterie était à plat. Je le faisais charger derrière la télé, à l’arrache, je le brancherai à la box plus tard.
En revenant, je vois que sur mon écran, Skype est lancé, dans les préférences Audio/Vidéo…
Mais… mais…
Avant de rentrer dans le champs de la webcam qui affichait un retour, je regarde attentivement l’écran.
Dans un coin, un peu masqué, je voyais le bout de la fenêtre de notification de prise de contrôle à distance. Comme si quelqu’un avait tenté de la cacher.
Ok, GO : je me suis lancé et j’ai fermé rapidement Skype puis j’ai stoppé la connexion.
A priori, le voleur avait utilisé l’app “Bureau à Distance” de mon iPhone.
La batterie du téléphone sans fil avait un peu chargé mais j’étais pas certain de pouvoir tenir pendant le temps d’attente...
Le temps qu’il finisse de charger, il était temps pour moi de contre-attaquer.
Essayer de localiser le téléphone.
Problème : Ni Google ni iCloud ne voulaient bien accepter mes mots de passe… Il avait probablement piraté TOUS mes comptes…
J’ai du tester tous les comptes possibles avec tous les couples login/mot de passe que j’utilise avant de me souvenir que si je ne pouvais pas me connecter à mes propres comptes, je pouvais tenter de me connecter à celui de ma copine.
Ce qu’il ignorait probablement, c’est que ma position GPS était partagée en temps réel avec elle via Google Maps.
Bingo !
Autant d’habitude j’aurais pesté contre la sécurité moisie de son mot de passe, autant là j’en étais très satisfait.
Actualisation…
La zone était large mais je savais que mon téléphone était vers Balma, plein Est de Toulouse, à l’opposé exact de Toulouse par rapport à Colomiers, situé à l’Ouest, où j’habite.
Maintenant que je savais où il était, je réalisais que sans voiture, j’avais pas vraiment de plan d’action.
Mais j’avais localisé le voleur et c’était déjà ça. Un petit truc qui enfin n’allait pas complètement de travers. Le premier depuis mon réveil.
Actualisation…
Ah, il est apparemment plutôt à l’Union, au nord-est de Toulouse, proche de la rocade.
Je suis allé vérifier l’état de charge du téléphone.
25% de la batterie.
Bon j’attendrais 50% pour appeler. J’en profitais aussi pour enfin aller aux toilettes, tâche que je repoussais depuis mon réveil. J’étais bien trop occupé.
Mais là, il n’y avait pas grand chose que je pouvais faire de toute façon.
Je reviens sur l’ordinateur et je vois que la position a encore changé: Sept Deniers, plein ouest, entre Colomiers et Toulouse…
Mon téléphone se déplaçait et chose plutôt cool, il se rapprochait de moi pour l’instant.
Je suis resté de longues minutes à suivre son déplacement sur la carte, le voir contourner les pistes de Blagnac.
Au bout d’un moment, je n’avais plus aucun doute: il se dirigeait vers Colomiers.
J’avais du être trop violent dans mon dernier message… j’avais oublié que le voleur savait où j’habite et il venait probablement régler ses comptes.
Vite, je devais sortir.
Je restait ce qui m’a semblé comme un éternité devant ce message :
Connexion interrompue par l’hôte
Ce n’était pas possible. Comment cela pouvait être possible ?
“Thomas ? ça va ?”
Mon chef me regardait, je ne sais pas depuis combien de temps.
“T’es tout blanc, ça va?”
Je ne savais pas quoi lui répondre. J’ai du bredouiller quelque chose mais je ne me souviens plus quoi.
Mais ça a eu l’air de suffir à le rassurer.
Mon départ est assez confus dans mes souvenirs, j’ai l’impression d’avoir agi comme un automate :
Je sais juste que je me vois empoigner mon paquet de tabac mais je ne me rappelle pas être sorti du bureau. Mais j’ai du le faire puisque juste après j’étais en bas, à l’entrée en train de rouler une clope.
Enfin, tenter de rouler ma clope, parce que c’est à ce moment-là que je me suis aperçu que je tremblais comme une feuille.
J’avais ces quelques images de ce “double” aperçues qui me hantaient.
Je revoyais l’instant en boucle dans ma tête. Et il semblait de plus en plus clair que c’était moi.
J’ai tenté de reprendre mes esprits.
J’avais probablement halluciné et là je réécrivais mon souvenir en m’y plaquant dedans à la place de ce qui s’est réellement produit.
Il fallait absolument que j’en ai le coeur net.
J’ai regardé ma montre : 11h45… tant pis, attendre 45 minutes aurait été trop long.
Je suis donc remonté au bureau, toujours obsédé par ces quelques images de webcam, et j’ai probablement dit quelque chose du style “il faut que je parte, je vous tiens au courant”
Mon chef a répondu quelque chose qui devait être “ok je comprends” mais j’étais trop absorbé par mon départ pour l’écouter vraiment.
Trop focalisé sur l’objectif de rentrer vérifier.
J’ai réuni vite-fait mes affaires et je suis re-descendu sur le parking.
Assis dans ma voiture, après avoir branché mon téléphone, je marquais une pause avant de mettre le contact. Une hésitation soudaine :
Etait-ce bien raisonnable ?
Est-ce que je n’étais pas en train de me jeter tête la première dans une situation dangereuse ?
Le doute commençait à s’installer en moi, et j’aime pas douter. Je ne supporte pas cette sensation ankylosante.
J’ai fait ce que je fais toujours dans ce genre de situation : foncer.
J’ai démarré la voiture et me mettais en route. 20 minutes si ça roule bien. ça allait être long…
Au bout de quelques centaines de mètres, et donc une grosse minute de réflexion, je commençais à me poser la question : Devrais-je prévenir… me prévenir ?... de mon arrivée?
D’un côté, ce serait perdre l’avantage stratégique de la surprise.
De l’autre, dans la situation impossible d’un deuxième “moi”, vraisemblablement bien plus agressif d’après son message, cela pouvait vite tourner mal.
Je me sentais soudain ridicule.
C’était impossible, pas vrai? Cela ne pouvait PAS être moi.
Enfin, voyons… il fallait que je me concentre : j’allais juste vérifier que mon ordi était bien chez moi et que ma maison était bien fermée.
*POUM*
J’avais buté la route avant-droite contre le trottoir.
Heureusement que je n’étais pas encore sur la rocade.
Il fallait que je me concentre sur la route.
Et là ça a été une lutte interne entre la partie de mon cerveau qui voulait rester concentrer sur la route et l’autre partie qui analysait la situation absurde vécue depuis bientôt deux heures déjà.
Le trajet m’a semblé une éternité… bien que je me suis aperçu que je n’avais mis ni musique ni émission qu’une fois arrivé devant le portail de la résidence, tellement j’avais passé le trajet à lutter contre mes pensées.
Je me garais sur ma place tout en pestant intérieurement à l’encontre des voitures des voisins garées à l’arrache et gênant ma manoeuvre.
Je suis descendu de la voiture et j’ai jeté un oeil par la fenêtre du bureau dont les volets sont toujours entrouverts et distinguais mon écran allumé.
Avec l’angle de vue et le double vitrage, il m’était dur de distinguer exactement ce qu’il y avait à l’écran.
Soudain, je réalisais que si ce quelqu’un rentrait dans le bureau, j’aurais été vu instantanément. Je me suis accroupi et j’ai dégainé mon téléphone pour relancer une prise de contrôle à distance.
De toute façon j’avais déjà été grillé tout à l’heure.
Je regardais autour de moi et surtout au-dessus au cas où il serait à l’étage, prêt à m'assommer avec… un truc… J’ai secoué la tête… je devenais paranoïaque, c’était ridicule.
Grillé pour grillé, je j’ai relancé Skype pour avoir un retour de la webcam. Le bureau semblait vide.
Probablement pour me persuader de la véracité de ce que j’ai vu tout à l’heure, j’ai levé la main et j’ai pu constater que je la distinguais bouger à travers la fenêtre sur l’image de la webcam.
C’était bien mon ordinateur, c’était bien chez moi, c’était bien en live.
Je décidais de faire un détour par le sellier, pour y récupérer mon pied de biche, celui-là même que je dois mettre aux couleurs d’Half-Life depuis, quoi… 6 mois maintenant?
J’ai respiré un grand coup puis fermé le sellier, me suis dirigé vers la porte d’entrée. La poignée dans la main, j’appuie et… c’est fermé à clef. Hum… je commence vraiment à douter de ce que j’ai vu à la webcam tout à l’heure.
Si la porte était fermée, comment quelqu’un aurait-il pu… Soulagé dans un premier temps, je me rappelais qu’il restait l'éventualité d’une effraction via la porte-fenêtre ou la baie vitrée côté jardin.
J’introduisais dooouucement les clefs dans le barillet de la serrure et tournais dé-li-ca-te-...
* KLONG *
“Putain”, soufflais-je entre mes dents serrées.
Vite, retirer les clefs, ouvrir la porte, virer du milieu le chat qui m’accueille, fermer derrière moi.
Je restais dans le sas d’entrée, comme figé. Cela m’a paru un peu long, mais c’était peut-être une unique seconde.
J’ai avancé pour rentrer dans le salon et constater que la baie vitrée était fermée ainsi que la porte fenêtre du coin cuisine. C’est rassurant.
Tout en restant sur le qui-vive, je pars à ma gauche en direction du bureau pour constater qu’il est toujours vide.
Je monte à l’étage et vérifie chaque pièce. Personne. Enfin, si : nos chats.
Commençant à douter de moi, j’essayais de me raisonner, me demandant si je perdais pas la tête.
Mais il y avait pourtant ces messages, ce mail… Je ne pouvais pas avoir imaginé ça.
Mes collègues et ma copine les ont vus et y avaient réagi.
Je descendais les escaliers tout en tournant la situation dans ma tête à la recherche d’une explication rationnelle et machinalement, je suis allé me faire un café.
Ah, j’ai pas fini mon mug de café, encore ce matin.
Rien d’anormal, j’ai tendance à boire mon café en plusieurs fois tout au long de ma préparation et parfois j’oublie un fond, voir une moitié de mug.
Tant mieux, j’adore le goût du café froid… j’attrappe me mug par le corps et la surprise m’en aurait presque fait le lâcher.
Je ne m’attendais pas à son poids. Le mug était plein, ce qui est déjà étrange pour une fin de café oublié… mais surtout … il est encore chaud !
Le mug n’était pas brûlant. Plutôt tiède.
C’était bien trop chaud pour un café oublié depuis ce matin.
Par réflexe, je regarde ma montre et fais le calcul : 12h15, pour disons, 8h du matin… en plus de 4h c’est impossible qu’il soit à cette température surtout que je rajoute toujours un peu d’eau froide pour pouvoir le boire de suite et ne pas être en retard.
J’étais dans ces réflexions quand quelqu’un a sonné à la porte.
Pas juste sonné “comme ça”. Sonné selon un rythme qui ne m’étais pas inconnu du tout: le code secret que j’utilise avec ma grand-mère quand je sonne chez elle.
“hum hum Phil? C’est bien Phil c’est ça ?”
Derrière la porte une voix que j’ai entendu plein de fois dans mon autoradio, une voix que j’ai entendu aussi pendant la post-production de mes émissions.
Ce n’était donc pas une hallucination.
“Phil ? heuuu… Je sais que ça va doit te paraître chelou-as-fuck.
Ne panique surtout pas, je vais rentrer.”
Et la poignée a commencé à se baisser...
Je suis sorti dans le jardin, fermant la porte-fenêtre derrière moi pour que les chats ne s'échappent pas.
Je suis passé au-dessus de la clôture en bas du jardin.
C’est là que je me suis dit que si la pose de la clôture avait encore eu quelques semaines de retard, ça m’aurait arrangé… j’ai accroché le pantalon au niveau du mollet et j’ai basculé et chuté de l’autre côté.
Je m’inspecte rapidement : pas d’accroc dans le tissu, une légère éraflure sur l’avant-bras, mais rien de grave. J’ai un peu mal là où la tige de la clôture a accroché le tissus. J’aurai probablement un bleu.
Je m’en sortais donc relativement bien.
Quoi faire maintenant? Il fallait que je vois la tête du (ou des) voleur (s) sans me faire repérer.
Heureusement il ne pleuvait plus maintenant.
Je suis remonté sur le parking et me suis caché derrière la rambarde micro-perforée d’un balcon d’appartement au RDC.
Il avait les volets fermés, l’occupant étant probablement au travail.
Bien qu’un peu loin pour ma vue non-équipée de mes lunettes, j’avais une vue parfaitement dégagée vers les places de parking de ma maison qui se situaient à 7-8 m.
L’attente n’a probablement pas été très longue, mais elle m’a semblée une éternité.
J’ai entendu un bruit de moteur. Une voiture blanche.
Fausse alerte. La Clio est allée se garer un peu plus loin. L’occupant est sorti est s’approchait de moi.
Il est passé à 1m de moi sans me voir puis a continué sa route
* Vous pouvez entrer *
Il a ouvert la porte et elle s’est refermée derrière lui et le violent claquement métallique des électro-aimants de verrouillage a résonné dans toute la résidence vide.
Au moment où mes oreilles se ré-habituaient au silence, j’ai cru distinguer un moteur.
Une voiture gris foncée. Bonne couleur mais trop loin pour distinguer la forme exacte.
Elle se rapprochait de moi rapidement et avant que je puisse être certain du modèle, elle s’est garée sur une des places de ma maison.
C’était bel et bien ma voiture qui venait d’arriver.
Et même si de là où j’étais je distinguais mal les détails, sortant par la portière conducteur, je distinguais quelqu’un que je n’ai pas mis très longtemps à reconnaître.
Il a regardé dans le bureau puis s’est accroupi, caché entre la voiture et le mur de la maison, sous la fenêtre du bureau, où je ne pouvais pas le voir.
Je crois qu’il a tenté de regarder de nouveau par la fenêtre mais il est resté assez longtemps.
Un comportement assez étrange tout de même.
Il est ensuite allé dans le cellier attenant à la maison. Il en est ressorti pour cette fois rentrer discrètement dans la maison.
Je n’ai pas vu ce qu’il a pris dans le cellier mais si ma vue ne me jouait pas de tour, je savais qui c’était et pouvait, du coup, deviner exactement ce qu’il avait été chercher.
Portant un hoodie bleu, un jean et mon sac sur l’épaule, cette personne n’était autre que… moi.
J’avais beau ne pas y croire, ne pas avoir mes lunettes, j’en étais persuadé, je le ressentais : il était “moi” enfin un autre “moi” comme un clone…
Et s’il pensait comme moi, ce qu’il était allé chercher, c’était pas forcément bon pour moi. Je pariais sur le pied de biche.
Je sais pas combien de temps je suis resté sur ce balcon mais je me suis aperçu que mes jambes m’avaient lâché. J’avais les fesses dans une flaque et je commençais à avoir froid.
Si on écartait le fait qu’il est impossible d’avoir un “clone”, les évènements de la journée prenait bien plus de sens avec cette explication. Qui d’autre pouvait changer tous mes mots de passe et déverrouiller mon iPhone en une simple matinée ?
Mais la question restait en suspens : était-il “comme moi” ou “moi” ? Allait -il être agressif ?
De toute façon quelle alternative j’avais à part le confronter ?
J’avais beau y réfléchir, je n’en trouvais pas. Il était chez moi, avait ma voiture, mes clefs…
Comme dans un état second, je me dirigeais vers la porte d'entrée.
Quitte à sonner, je décidais de le faire avec un rythme connu par ma grand-mère et moi. Cela lui donnerait une première indication sur mon identité.
Pas de réponse.
Des pas derrière la porte.
La diplomatie m’est apparue comme la meilleure solution et je me suis adressé à moi comme j’aurais souhaité qu’on le fasse pour moi.
“hum hum Phil? C’est bien Phil c’est ça ?”
Ma voix n’était pas très assurée... Le silence….
“Phil ? heuuu… Je sais que ça va doit te paraître chelou as fuck. Ne panique surtout pas, je vais rentrer.”
Pas de réaction. J’ai ouvert doucement la porte.
La première chose que j'ai vue c'est sa main droite. Elle tenait comme je m’y attendais, le pied de biche qu’il avait dû chercher au cellier.
J’ai interrompu l’ouverture pour lui demander de le poser, passant mes deux mains par l’interstice pour lui montrer que je n’avais pas d’arme.
Un moment de flottement, puis je l’ai vu se baisser pour le poser au sol.
Puis la porte s’est ouverte, et je l’ai vu. Il avait la main gauche sur la poignée et semblait pétrifié. Même un peu pâle. Je n’osais pas non plus bouger.
Nous sommes restés là une longue minute puis il m’intima de rentrer d’un ton froid et autoritaire.
Je rentrais chez moi et pour me donner une contenance, je me dirigeais vers la machine à café pour me saisir de ma tasse.
“Tu veux un café ?”
Cette phrase m’était venue sans plus de réflexion, l’automatisme d’accueillir quelqu'un chez moi, probablement.
Il semblait plus abasourdi que moi et répondit machinalement “oui s’teuplé” et s’est assis à ma place, dans mon canapé. Une attitude un peu cavalière pour un invité… Puis je me suis rappelé qu’il était chez lui, lui aussi.
J’avais décidément du mal avec cette notion.
Son café prêt, je me suis assis à côté de lui et nous avons bu tous les deux une gorgée, pris une inspiration avant de se tourner l’un vers l’autre en disant :
“Bon…”
Un frisson m’a parcouru le dos. C’était particulièrement dérangeant.
Il enchaîné :
“En vrai t’es qui?”
Il semblait sincère. Je ne savais pas quoi répondre.
Maladroitement j’ai répondu :
“Thomas Forest né le ||||||||||| à |||||||||||||||||||, mes parents sont |||||||| et |||||||| .”
Il était toujours aussi méfiant et a grommelé
“C’est pas suffisant”
Il n’avait pas tort : N’importe qui un peu renseigné pourrait répondre ça. Je devais corriger le tir.
Je lui ai donc confié une situation honteuse de mon passé.
J’ai lu la terreur sur son visage. Puis de l'agressivité : “Comment tu sais ça ?”
J’ai alors invoqué le rasoir d'Ockham, lui expliquant que la solution la plus simple est qu’il soit soit deux fois moi. Ou deux fois lui.
Je lui proposais de chacun poser une question à l’autre, à tour de rôle.
S’ensuit un interrogatoire mutuel sur des aspects de plus en plus secrets de la vie privée que je ne révélerai pas ici.
Il fallait se rendre à l'évidence. Nous étions identiques en tout point.
Existe-t-il un point de perfection qui ferait que la copie serait égale en nature à l’originale ?
Au vu du démarrage de la journée, finalement cette situation était bien plus confortable que le vol de toutes mes affaires. Étrange, certes. Mais pas horrifique.
La pression retombait donc un peu… j’avais envie de cloper. J’ai donc machinalement pris le tabac qu’il avait posé sur la table.
Il m’a arrêté puis s’est ravisé. Je ne sais pas si il voulait me le donner ou m’empêcher de le prendre.
Je me suis roulé ma clope puis lui ai filé le nécessaire et il s’est roulé une cigarette aussi.
Nous avons fumé en silence… un silence tout relatif puisqu’il faisait du bruit en inhalant la fumée comme un asthmatique sa ventoline.
Passif jusqu'alors, il s’est soudain comme réveillé.
“Je te propose d’aller ensemble à Nîmes. Je devrais déjà être parti. On aura les 4h du trajet pour tirer tout ça au clair et voir comment gérer la situation”
Avec toutes ces émotions, j’avais complètement oublié que je devais partir en week-end.
Prendre la voiture avec lui qui semblait si méfiant… j’hésitais un instant. c’était presque inquiétant qu’il soit à l’origine de la demande.
Mais avais-je vraiment le choix ? Au final, isolés par l’anonymat, on pouvait passer pour des frères jumeaux. C’était donc rationnellement le meilleur moyen de gagner du temps pour y voir plus clair avant d’alerter nos proches.
Ce voyage allait s’annoncer particulièrement étrange. Mais j’étais assez optimiste. Probablement qu’à deux on trouvera une solution.
Je suis parfois un peu trop optimiste.
La poignée était arrivée au bout de sa course et la porte commençait à s’ouvrir.
Je serrais ma main autour du pied de biche.
Elle s’est ouverte un peu puis s’est arrêtée.
Je distinguais un pied un bras.
Il portait mon jean. Enfin, le double de mon jean, puisque je les achète toujours par deux, et un de mes t-shirt podCloud.
Il avait au pied une chaussure de la paire réservée aux travaux.
Il m’intima de poser le pied de biche au sol. Je ne bougeais pas. Pas question de lâcher la seule arme à ma disposition.
Deux mains se sont alors glissées par l’interstice de la porte. Il n’était pas armé. C’était déjà ça.
J’ai posé le pied de biche et j’ai fini d’ouvrir la porte.
Je ne sais pas combien de temps on est restés à se dévisager. Ce n'était pas comme j’aurais imaginé la situation.
J’aurais penser que ça serait comme se regarder dans un miroir, mais non.
C’était plutôt comme se voir en vidéo. C'était moi, physiquement, etc mais pas vraiment moi en même temps.
J’ai entendu un de nos chats descendre les escaliers. Il ne fallait pas qu’il s'échappe.
Je suis sorti de ma torpeur et comme par réflexe je lui ai demandé de rentrer et j’ai fermé derrière lui.
Il s’est dirigé dans le salon puis la cuisine.
Cela semblait si naturel pour lui.
Mes jambes commençaient à me lâcher. Tel un automate, je suis allé m’assoir dans le canapé.
Il m’a proposé un café je crois… toujours est-il qu’on a fini tous les deux dans le canapé avec une tasse de café chacun.
J’étais sous le choc et fixais la télé éteinte.
Au bout d’une éternité, on s’est tourné l’un vers l’autre et on a commencé à parler en même temps. Un silence s’est installé un instant puis je me lançais et lui demandais qui il était.
Il m’a répondu la réponse la plus bateau et administrative possible et je lui ai dit de la façon la plus calme possible (au vu de la situation, hein) que c’était pas vraiment déterminant.
A vrai dire, savoir le nom, prénom, date de naissance et prénom des parents n’est pas vraiment suffisant pour se faire passer pour une personne, non?
Et là il m’a choqué. Il m’a rappelé un moment gênant qui m’était arrivé il y a des années. Comment pouvait-il connaître ce que seuls une poignée de personnes savaient et qui n’avait dû marquer que moi ?
Je crois avoir réagi un peu agressivement. Il a eu un mouvement de recul puis m’a expliqué, de manière presque condescendante, qu’il n’y avait pas d’autre réalité possible que le fait qu’il existe 2 versions de moi.
Puis il m’a proposé de lui poser une question, puis il m’en a posé une et nous avons ainsi échangé des anecdotes de mon passé, qui semblait réellement être aussi le sien.
Je ne pouvais venir qu’à la conclusion qu’il était une copie parfaite, jusqu'au moindre souvenir, le moindre détail, jusqu’au plus anecdotique.
Il avait l’air plus à l’aise que moi face à cette situation. Comme si la possibilité d’un double était normale à ses yeux. Presque acceptable. Rassurante, possiblement?
Il n’est penché pour attrapper le tabac posé sur la table. Par réflexe, j’ai voulu l’arrêter, puis je me suis souvenu que pour lui, c’était probablement ses clopes.
Partager avec soi-même… un concept étrange.
Avant de tirer des conclusions hâtives, je préférais rester méfiant.
Pour moi il était clair qu’il devait exister un détail qui permettrait de nous différencier et de prouver qu’il n’est qu’une copie.
Depuis combien de temps avait il existé avant de venir interférer avec ma vie? Quelles étaient ses véritables intentions ?
Il m’a tendu le tabac et nous avons fumé ensemble en silence… Enfin quand je dis en silence… il fumait rapidement et à pleins poumons, comme si il avait besoin de cette fumée pour respirer… Comme si il inspirait de la Ventoline en quelque sorte. C’était particulièrement crispant.
J’avais beau y réfléchir, j’en revenais toujours à la même conclusion : il était hors de question qu’il reste plus longtemps chez moi. Heureusement, une opportunité s’offrait à moi: je devais partir pour Nîmes. Et par la même, lui aussi.
Je l’ai donc invité à venir avec moi. Il avait l’air soudainement hésitant, mais il a accepté.
Nous sommes alors montés faire la valise.
Automatiquement, je la préparais pour moi et il m’a laissé la faire. J’avais l’étrange impression qu’il se forçait à être prévenant avec moi.
C’était particulièrement dérangeant. Suspect, même.
J’allais fermer la valise quand il a demandé d’une voix artificiellement douce de prévoir aussi des affaires pour lui.
Je commençais à regretter mon idée de passer 4h avec lui dans la voiture. Cela partait pour être une situation très gênante. Mais avais-je le choix ?
Je n’allais pas le laisser seul avec ma copine quand même.
Ma copine… merde. Il fallait que je la rassure. Comment ?
Tant pis, j’allais lui mentir. Lui dire que tout est rentré dans l’ordre. C’était le plus simple.
Je sortais mon téléphone de ma poche quand une idée m’est venue : Touch ID.
Je lui tendais. Devant son regard interrogateur, je lui disais de le déverrouiller. Il a paru intrigué par ce geste mais s'est exécuté.
Sans grande surprise j’ai entendu le son du déverrouillage. Je n’aurais pas dû être si étonné que ses empreintes soient les mêmes à ce niveau-là, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu déçu.
L’iPhone dans la main, il m’a demandé ce qu’on faisait vis à vis de “notre copine” ce sont ses mots.
Je le trouvais très abrupte. “Notre copine” ?
Il m’a proposé de lui dire que tout allait bien.
Son empressement à la rassurer m'inquiétait un peu. Comme si soudainement en disant que tout va bien, je me retrouvais démuni face à lui.
Mais il n’avait pas tort. J’étais arrivé moi même à la même conclusion juste avant de toute façon.
Après avoir fait “nos” affaires, est venu le moment de prendre le volant.
Je lui proposais de conduire, il m’a demandé si ça me rassurerait, et j’ai répondu oui.
On avait quitté Colomiers depuis une dizaine de minutes quand on s’est aperçu qu’un silence pesant s’était installé dans la voiture sans qu’on ne l’ai senti venir.
Nous avons tenté de prendre la parole, s’interrompant simultanément et mutuellement.
Après un moment de flottement à base de “non vas-y”, il a pris l’initiative et m’a demandé
“Bon d’après toi, c’est quoi ce délire ? Il faut qu’on réfléchisse à d’où ça vient, peut-être qu’on pourra inverser la tendance et que tu rejoignes ton monde”
Puis une pause puis une grimace gènée. Il avait réalisé, je crois, l’inadéquation de sa remarque.
“ou moi le mien… enfin tu vois quoi...”
Je ravalais mon énervement et je réfléchissais, pour la première fois de manière posée quand il m’a interrompu dans ma réflexion.
“Tu penses que le... “dédoublement” a eu lieu à quelle heure ? Parce que si tu t’es levé avant moi, quand tu es revenu dans la chambre après la douche, je pense que tu aurais remarqué si j’avais été présent, non? ”
Je tentais de me rappeler de mon retour dans la chambre… c’est assez flou, comme souvent au réveil. Mais il avait raison, je pense que j’aurais réagit à la présence d’un corps dans mon lit… et la lumière l’aurait réveillé.
“T’embête pas, la lumière m’aurait réveillé”
Wooh.
C’était quand même un peu flippant.
On a continué à y réfléchir, à assembler les pièces de ce puzzle qui ne semblait avoir aucun sens. Mais j’avais l’impression d’avancer.
Et plus ça allait, plus ma confiance en lui commençait à grandir. Il avait l’air sincère et, je ne sais pas comment dire ça sans paraître narcissique… Ben c’était pas désagréable de réfléchir avec moi...
On a dû écouler tous les détails d’hier soir et aujourd’hui parce qu’un silence s’est installé.
Un panneau indiquait l’aire de Carcassonne-Arzens à 2000 m.
Je lui ai demandé :
“ On s'arrête fumer une clope ? ”
Il a hoché la tête en émettant un petit :
“ ‘ep!”
La pluie avait repris depuis quelques kilomètres et gagnait en intensité. Quelques éclairs avaient flashé à l’horizon.
On s’est arrêtés devant la boutique de l’aire, et m’a dit qu’il allait aux toilettes, m’a demandé de l’attendre pour fumer et j’ai opiné de la tête.
J’étais seul dans la voiture, mon trousseau sur les genoux.
J’écoutais le son de la pluie sur le pare-brise et le toit.
Je pensais :
“Quelle journée… mais quelle journée…”
Je n’avais qu’une envie : trouver la solution pour revenir à une vie normale.
Je réalisais alors que j’avais les clefs de la voiture, les papiers, le téléphone était posé sur son support….
C’était si simple.
On a commencé à faire les affaires pour partir en week-end.
Je lui ai tendu les affaires, essayant d’être le plus prévenant possible, pour qu’il consente enfin à baisser sa garde
Garde qu’il gardait bien relevée. Je sentais même une certaine forme d’énervement de sa part. J’étais clairement pas le bienvenu… Mais il semblait oublier qu’il était autant chez moi que ce que j’étais chez lui.
Il a fait ses affaires et il a fallu que je lui demande de penser à prendre aussi des vêtements pour moi, avant qu’il ferme la valise.
J’ai tenté de lui demander avec tout le tact que j’étais capable de mettre. J’ai senti que ça passait pas.
Cela commençait vraiment à être dérangeant ce manque de confiance. Il fallait se serrer les coudes, s'entraider pour trouver une solution ensemble. Mais il ne semblait toujours pas prêt.
Par exemple, il m’a tendu le téléphone en me demandant de le déverrouiller. Je sais que ce n’était pas anodin : il voulait vérifier que mes empreintes étaient bien capable de débloquer Touch ID.
En y repensant, j’ai l’impression qu’il refusait d’admettre la vérité… la situation était certes un peu what the fuck mais je commençais à m’y faire, je l’avais acceptée.
Le téléphone dans les mains, j’ai vu une photo de lui au bureau envoyée en MMS à ma copine, je me disais qu’elle devait continuer de s'inquiéter.
J’ai failli prendre l’initiative de la contacter pour la rassurer, quitte à lui mentir, lui dire que tout est réglé. Après tout, comment lui expliquer la situation ?
Mais j’ai préféré être diplomate, éviter la moindre vague.
J’avais l’impression de devoir marcher sur des oeufs avec lui, alors avant de la contacter, je lui demandais son avis:
“Comment on fait pour notre copine ? on lui dit quoi ?”
Cette phrase sonnait bizarrement une fois sortie de ma bouche. J’ai vu dans ses yeux que je l’avais froissé. Elle était pourtant techniquement correcte cette phrase.
J’enchaînais malgré tout en tentant d’être un peu souriant malgré le fait qu’il commençait un peu à me fatiguer avec sa mauvaise humeur :
“ça va être un peu galère à expliquer, je propose qu’on lui dise que tout va bien, que c’est réglé”
Heureusement, on a fini par prendre le volant. ça commençait à être long et j’espérais que ces 4h forceraient une certaine cohésion de groupe… oui de groupe… avec moi-même.
En signe de bonne foi, je l’ai laissé conduire comme il le demandais. j’ai lu sur son visage un certain soulagement. Vraisemblablement ça l’avait travaillé.
J’étais un peu tendu en tant que passager, durant les premières minutes. Sa conduite étant un peu brusque parfois.
Lancés sur la rocade depuis une dizaine de minutes, j’ai voulu prendre la parole, mais il a fait de même.
Finalement il m’a laissé la parole, enfin, je crois… Bref, je lui ai demandé si il était prêt à discuter de sa version de la journée pour qu’on trouve le dénominateur commun, probablement la cause de ce dédoublement.
Là où j’ai merdé je crois c’est quand j’ai parlé de le renvoyer dans son monde… C’est pas vraiment ce que j’insinuais… Là j’ai senti tous les efforts de diplomatie s’envoler.
Après un silence gêné, j’ai enchainé :
“Tu penses que le... “dédoublement” a eu lieu à quelle heure ? Parce que si tu t’es levé avant moi, quand tu es revenu dans la chambre après la douche, je pense que tu aurais remarqué si j’avais été présent, non? ”
Toujours pas de réponse…
Un peu fatigué de parler à un mur, et voyant de toute façon une faille dans mon raisonnement j’ai répondu, probablement un peu sèchement, pour le coup :
“T’embête pas, la lumière m’aurait réveillé”
Je lui ai alors raconté mon réveil, avec les indications de sa présence auparavant, comme l’humidité de la serviette ou l’absence des vêtements et autres objets.
Lui, m’a rapidement raconté ce que j’avais déjà déduit par moi-même. Le mail, les échanges sur Telegram…
ça ne nous avançait pas vraiment je trouve mais au moins on parlait, on échangeait.
Je pense qu’avec les heures de trajet on devrait arriver à une certaine forme de partenariat une fois à Nîmes.
On a continué ensuite à dérouler chacun de notre côté la soirée de la veille, cherchant le moindre détail qui serait différent.
De la nourriture aux programmes regardés sur YouTube, on a tout passé au crible. Rien qui ne diffère, rien qui ne sorte de l’ordinaire.
La météo n’était pas non plus particulièrement originale, ça fait 2 semaines qu’il pleut régulièrement, avec ou sans orages selon les jours.
D’ailleurs en parlant de météo, la pluie commençait à tomber sur le pare-brise et on allait vers de gros nuages noirs. On devait probablement rattraper l’orage de cette nuit.
Après avoir détaillé le passé, il restait une question en suspens que je n’osais pas aborder et qu’il n’a pas semblé être prêt à discuter: le futur. Ne serait-ce que notre arrivée à Nîmes.
Quelle serait la stratégie ?
Est-ce qu’on en parlerait à mon père?
Est-ce qu’on déciderait de protéger le coeur fragile de ma grand-mère ?
J’étais dans mes pensées, à réfléchir à un moyen d’aborder ce point délicat quand il s’est adressé à moi:
“ On s'arrête fumer une clope ? ”
Je suis sorti de ma réflexion juste à temps pour voir le panneau de l’aire de Carcasonne filer à ma droite. 2000m.
J’étais surtout surpris par cette première fois où il semble s’adresser à moi quasi-normalement et me proposer de fumer avec lui
J’ai répondu “Yep” en bouffant à moitié le mot sous le coup de l’émotion.
Cela faisait tellement plaisir !
J’ai senti un énorme soulagement.
Je sentais qu’un truc s’était débloqué. l’atmosphère était d’un coup moins pesante.
Je respirais un peu…
Je ne sais pas si c’était la fin du stress ou la pluie qui tombait toujours, probablement les deux, mais j’ai eu soudainement envie d’aller aux toilettes.
Voie de décélération, traverser la station, et il a garé la voiture devant la boutique.
J’avais envie d’aller pisser mais je ne voulais pas rater le fait de fumer enfin ensemble de façon détendue entre partenaires de galère.
Je lui ai donc demandé de m’attendre. je réalisais qu’on n’avait pas été un instant chacun de notre côté depuis notre rencontre il y a bientôt 2h de ça.
Alors que j’étais aux toilettes, probablement soulagé, j’ai pu prendre du recul et finir par comprendre sa réticence initiale.
Que si moi j’avais tout perdu au début de la journée et que le rencontrer m’a au final rassuré, pour lui c’était au final l’inverse.
Et j’ai pensé à ce que j’aurais fait à la place… Et son attitude semblait au final assez logique, compréhensible.
Plus j’y pensais, plus j’avançais dans le temps… jusqu’à m’imaginer à sa place, seul dans la voiture.
C’est là que j’ai un peu paniqué.
Je me suis dépêché de sortir des toilettes et j’ai vu par la baie vitrée que ma voiture n’était plus là.
J’ai tourné la tête et je l’ai aperçue à travers l’autre bout de la baie vitrée, finissant de disparaître, au coin de la boutique.
Je savais que je n’avais que quelques secondes pour réagir. J’ai donc utilisé la sortie de derrière et j’ai couru de toutes mes forces pour la rattrapper.
Il était obligé de faire le tour de l’aire pour en sortir et c’était là mon seul avantage, il fallait que je l’utilise.
J’ai traversé de toutes mes forces le parking, le coupant en diagonale, le plus droit possible.
Mes chaussures usées se gorgeaient d’eau à chaque flaque et je sentais que la semelle lisse pouvait me faire chuter à tout moment.
J’ai pu atteindre sans tomber le début de la bretelle d’accès à l’autoroute. Il ne pourrait pas me contourner.
Mais je ne savais pas si je l’avais raté ou non… Des phares arrivaient vers moi. Si ce n’était pas lui, j’aurais l’air d’un con, mais peu importe. Je me suis mis au milieu de la voie.
Avec mon T-shirt blanc, de toute façon j’étais visible.
Trempé, mais visible.
La voiture s’est approchée et a pilé devant moi, à moins de 2m de mes pieds.
La pluie était en train de me tremper, les phares m’aveuglaient et le capot, chaud, fumait avec l’évaporation de l’eau.
J’ai reconnu le badge Toyota
J’ai mis la main devant, pour cacher les phares.
C’était bien lui.
J’ai alors saisi les clefs qui étaient sur mes genoux et j’ai démarré la voiture.
J’ai reculé et je suis parti.
J’avais du attendre trop longtemps, parce qu’arrivé à la sortie de l’aire, je l’ai aperçu, debout, à 5 ou 10 mètres devant mon capot, bloquant la bretelle d’entrée sur l’autoroute.
J’ai fait piler la voiture. J’ai du m’arrêter à 1m de lui.
Et on est restés sans bouger, ni lui, ni moi.
La pluie battante tombait sur lui et sur mon pare-brise et les essuis-glaces balayaient régulièrement l’eau qui me brouillait la vue.
Je ne savais pas quoi faire. Lui rouler dessus me paraissait une solution viable, mais je me suis ravisé, je ne l’avais pas en moi.
Tout allait très vite dans ma tête.
Je crois qu’en un instant j’ai pesé le pour et le contre de sa disparition, je me suis imaginé devoir partager ma vie en deux : mon travail, ma maison, ma copine…
Non ça ne pouvait pas marcher. Il fallait que je fasse quelque chose.
Je me disais aussi qu’après ma tentative de départ, il n’allait pas forcément être très compréhensif, voir peut-être qu’il essaierait de m’éliminer.
Et qui me dit qu’il n’est pas mon double maléfique, envoyé pour prendre ma place?
Si ça se trouve il m’avait manipulé depuis le début et attendait simplement la bonne occasion pour me piéger et me faire disparaître.
Pas de disparition, pas d’enquête ! Il lui suffirait de juste bien cacher le corps.
Après tout, si j’y pensais à ce moment là, c’est bien qu’il aurait pu y penser, non, puisqu’on était pareils ?
C’est logique non?
Quand il a commencé à se diriger vers la portière conducteur j’ai paniqué.
Je me suis vite détaché pour ne pas être prisonnier de la ceinture et j’ai ouvert violemment la portière pour m’enfuir, ça l’a déséquilibré et il est tombé au sol.
J’ai été un peu surpris de le voir tomber. Je m’y attendais pas.
Je suis resté un instant, une main sur la portière, à le regarder au sol au lieu de m’enfuir.
Il a tenté de se relever en s’accrochant à la portière mais c’est mon bras qu’il a attrapé et il m’a fait tomber sur lui, un de mes genoux est tombé sur ses côtes.
Mais il restait quand même accroché à moi. Pour moi il n’y avait pas de doute, il passait à l’attaque !
J’ai profité d’être au-dessus pour lui donner des coups de poings dans la tête pour qu’il lâche prise.
Mais la pluie semblait me pomper toute ma force. Les coups étaient bien moins violents que ce que j’imaginais pouvoir donner et il tentait de se débattre.
C’est là qu’il m’a griffé la joue, je crois qu’il a tenté de me crever les yeux.
J’ai relevé le cou pour m’éloigner de ses ongles et j’ai réussi à lui attrapper un poignet… je crois...
Je sais juste qu’avec la lueur d’un éclair, j’ai repéré le reflet un gros galet posé dans la pelouse.
Tout en évitant ses gestes, je l’ai agrippé et lui ai écrasé sur la tête.
Une seconde plus tard, un gros éclair a éclairé la scène et je réalisais ce que j’avais fait.
Je le voyais gisant là, il ne bougeait plus.
J’ai voulu prendre son pouls, mais c’était pas aussi simple que dans les films. J’ai
Je reste persuadé qu’il était mort.
Je suis remonté dans ma voiture, j’ai reculé de la voie d’accès pour revenir.
J’ai garé ma voiture juste ici, la même place qu’à mon arrivée et je suis allé voir la caissière, pour lui demander d’appeler les secours et la gendarmerie pour lui venir en aide.
Je me suis assis par terre, adossé à la borne de la caisse… Et c’est là que je vous ai attendu.
Vous pouvez me répéter qu’il n’y a pas de corps, c’est pas possible. Regardez mon visage, j’ai encore les traces de griffures, regardez, regardez !
Je vous dit que je l’ai tué ! Je sais pas où est passé tout le sang, mais c’est peut-être la pluie qui l’a fait disparaître, je sais pas, moi.
J’entends encore le bruit de son crâne qui s’écrase sous la pierre. Si il n’est pas mort, il doit être au moins inconscient ou très mal en point.
Et puis j’ai toujours la voiture.
Il a pas pu bouger, il a pas pu s’enfuir.
C’est impossible.
Il doit encore être là.
Je sais que je me suis approché de la voiture. Je voulais le raisonner, lui dire que tout allait bien.
Je comprenais son geste, je peux dire avec certitude qu’à sa place, j’aurais fait la même chose… LOGIQUEMENT puisqu’il était moi… et/ou inversement.
Mais là encore j’ai probablement merdé… et il a paniqué...
A vrai dire, je ne sais plus trop ce qui s’est passé...
Ce passage est assez flou ... Je crois que je me suis approché de la porte conducteur, oui, c’est ça : je me suis dirigé vers la porte conducteur pour essayer de le raisonner… je crois.
Je me souviens surtout du choc, je me suis retrouvé par terre dans la pelouse du terre-plein, là-bas, entre la bretelle et l’autoroute. Je crois que je me suis pris la portière dans la gueule.
Je me suis relevé un peu puis après j’ai perdu l’équilibre, mais quand j’ai voulu m’agripper, je crois que je l’ai entraîné avec moi dans ma chute et j’ai violemment tapé l’arrière de ma tête sur la terre toujours un peu dure.
J’ai tenté de me détacher de lui mais j’avais un doigt coincé dans un pli de son t-shirt.
Je ne sais pas ce qui lui a pris.
D’un coup il a commencé à me frapper au visage, c’est ça les bleus.
J’ai tenté de l’arrêter, mais je ne sais pas trop comment, il est arrivé à me maîtriser en attrapant un de mes poignets.
Et là j’ai juste vu un rideau noir.
J’ai du tomber dans les pommes. Je sais pas ce qu’il a fait.
Il y a eu un gros éclair bien vif qui m’a surement fait reprendre connaissance, la voiture était toujours là, arrêtée sur la voie, devant moi.
Vide.
J’ai regardé autour de moi, pas de trace de lui. J’ai appelé et j’ai senti que mes côtes me font mal. C’est toujours le cas d’ailleurs.
J’ai pas dû rester bien longtemps au sol parce que la portière était ouverte et malgré la pluie, elle n’était pas si trempée que ça.
Mouillée, quand même, forcément, mais pas trempée.
Je suis monté dans la voiture et j’ai fermé la portière. Le moteur tournait toujours, mon téléphone était branché, posé sur le support. Mon sac était au pied du siège passager.
J’ai reculé pour dégager la voie et j’ai du prendre une partie de l’aire à contre-sens pour me permettre de revenir ici.
J’ai du faire plusieurs fois le tour à sa recherche, je l’ai appelé… sans succès.
Mais je commençais à me sentir un peu nauséeux, peut-être l’impact de ma tête sur le sol, alors j’ai abandonné les recherches pour revenir me garer juste là.
Regardez, on on la voit d’ici.
Quand je suis rentré, je sais pas, je dois pas avoir l’air bien parce que la caissière est venue me voir pour me demander si tout allait bien.
J’ai essayé de la raisonner, de lui dire que ça va.
Mais elle a insisté, je lui ai donc juste dit qu’on m’avait agressé et vous êtes arrivés.
Je pense qu’il faut fouiller toute l’aire. Mais je le vois, vous me croyez pas.
Mais je vous jure, malgré les coups, j’ai bien toute ma tête.
Et puis j’ai toujours la voiture. Il a pas pu partir bien loin, il a pas pu s’enfuir.
C’est impossible.
Il doit encore être là.
Fin